Histoires de sage-femme by Anna Roy

Auteur:Anna Roy
La langue: fra
Format: epub
Tags: livre;texte;témoignage
Éditeur: Éditions Leduc.s
Publié: 2020-03-17T00:00:00+00:00

— Je refuse totalement ce sentiment de culpabilité que vous éprouvez. Eugénie, que les choses soient bien claires, vous n’y êtes pour rien. Rien de rien. Un bébé ne meurt pas dans un ventre parce qu’il ne s’y sent pas bien. C’est absurde.

Les pleurs se propagent dans la salle obscurcie. Viennent aussi très vite de nombreuses questions sur ce qui va se passer. Comment ? À quelle heure ? Avec qui ? On la verra ? Et après ? On donne un nom ? On enterre ? On fait une cérémonie ? Et le livret de famille ? Le congé maternité ?

Je réponds comme je peux à tout cela. Je lui dis que tout cela sera vu en détail.

Comment ? Je leur explique que l’accouchement, dans ce type de circonstances, diffère assez peu d’une naissance d’un enfant vivant.

À quelle heure ? Je n’en sais absolument rien. Le col est encore long et fermé, on en est au tout début, mais la nuit risque d’être longue. Et peut-être que ce sera demain, je n’en sais rien.

Avec qui ? Avec une sage-femme et une infirmière et puis qui elle voudra. Je lui dis que je ne pose aucune restriction, qu’elle soit avec qui elle veut. Mais par contre, que demain, en fonction de la sage-femme, peut-être une seule personne sera autorisée à être à ses côtés.

On la verra ? Oui, évidemment, c’est votre fille. Si vous en avez envie, vous la verrez. Vous pourrez même la tenir dans vos bras, la toucher, l’embrasser, vous ferez ce que vous voulez.

On donne un nom ? Si vous le souhaitez, bien entendu. Cette jeune fille a eu une courte existence, mais elle a bel et bien existé.

On l’enterre ? On fait une cérémonie ? Et le livret de famille ? Tout est possible évidemment. Je leur explique qu’ils peuvent se poser la question, mais qu’ils trouveront la réponse par eux-mêmes en la voyant.

Le congé maternité ? Il y en a un. Il va falloir se remettre et cela va prendre du temps. Se jeter à corps et à esprit perdu dans le travail n’est pas la solution.

Les heures s’écoulent dans cette nuit qui paraît sans lendemain. Le col peine à s’ouvrir. Eugénie a du mal à dormir, du moins plus de quinze minutes d’affilée. Les deux sœurs sont allées se coucher et je leur ai promis de les appeler à la moindre demande d’Eugénie. J’ai installé un lit de fortune pour André qui ne ferme pas l’œil. Il a les yeux fixes et vides.

Je viens les voir aussi souvent que je le peux, entre un accouchement, une césarienne, des consultations d’urgence et le reste. Il y a une part de moi qui est soulagée à l’idée qu’elle n’accouche pas tout de suite, la garde est trop chargée. Demain, ce sera plus calme, les sages-femmes auront plus de temps pour accompagner.

Au petit matin, j’hésite à rester pour l’accoucher, mais comme le col est seulement ouvert à un doigt, cela peut encore durer des heures et des heures.

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